Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue.

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Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue.

Dimanche dernier avait donc lieu le premier tour des élections départementales.

Il est frappé par l’abstention. C’est près d’un électeur sur deux qui ne s’est pas déplacé aux urnes. « C’est moins que ce qu’on attendait ! » diront certains. « 56% aux cantonales de 2011 » ajouteront d’autres, se privant bien de dire que le renouvellement se faisait alors par moitié, ôtant à l’élection le caractère national de ce dimanche.

Il n’en demeure pas moins que le divorce est là. Qu’une démocratie est malade quand celles et ceux qui exercent le pouvoir le font dans le silence étourdissant de la moitié de la population. Qu’il n’y aura pas de majorité possible sans s’adresser à celles et ceux qui se sont détournés des urnes, floués par un système politique pourri, dégoutés par des politiciens véreux, menteurs et corrompus, et écrasés par des potions d’austérité imposés par une caste qui a confisqué le pouvoir et les richesses.

Dans cet océan d’abstention, la progression du Front National, certes plus limitée que ce qui avait été annoncé, est réelle. Plus personne ne peut nier que ce parti est aujourd’hui en capacité d’être majoritaire à une élection nationale si nous ne proposons pas une alternative qui remobilise le peuple autour d’objectifs positifs. Car si le Front National matérialise sa dynamique sur l’échec social de la politique gouvernementale, il progresse aussi sur l’absence totale de perspective et l’alternance au pouvoir de gestionnaires qui gèrent la France comme une boutique, n’offrant comme unique avenir que l’équilibre des comptes de la nation…

De ce point de vue, si l’appel au vote utile a certes permis à Manuel Valls de contenir la défaite du Parti Socialiste, il a surtout renforcé une force politique qui se nourrit de l’unanimité de façade qui se dresse sur son chemin. Rarement une campagne électorale n’aura été aussi creuse sur le plan des propositions. Rarement la communication gouvernementale n’aura été tournée à ce point sur la nécessité d’empêcher à l’extrême-droite de s’assoir à la table des conseils départementaux. Triste spectacle d’une politique qui, si elle a pu à court terme amortir l’échec annoncé du Parti Socialiste, ne peut à plus long terme que renforcer ceux qu’elle prétend combattre. Car c’est sur une vie démocratique asséchée et aseptisée que progresse l’extrême-droite. C’est dans le vide des idées qu’avance la réaction. Et c’est au contraire un peuple mobilisé, en réflexion et en construction permanente de son avenir, qui refusera les solutions rétrogrades. Il ne pourra donc y avoir de solution durable sans sursaut citoyen, non pas sur les injonctions d’un parti au pouvoir disqualifié et qui a déchiré ses engagements de campagne, mais dans la prise en charge de sa vie au quotidien. Voilà pourquoi la revendication d’une constituante pour permettre aux citoyens de reprendre leurs affaires en main est plus que jamais une nécessité !

Il est donc temps de repartir de l’avant. Bien sûr, la résistance à l’austérité et la défense des conquêtes arrachées à la cupidité de l’oligarchie sont indispensables. Mais ce n’est pas suffisant. Il s’agit aujourd’hui de proposer en positif un autre avenir. Vider la mer avec les mains n’est pas une perspective. C’est en permettant un projet cohérent et mobilisateur que nous reprendrons le chemin du progrès. C’est par la réappropriation populaire du pouvoir que nous pourrons avancer vers l’éco-socialisme. C’est en chassant ceux qui se gavent sur notre dos, saccagent l’écosystème, tuent l’économie réelle que nous pourrons partager les richesses, amorcer la transition écologique, développer une économie respectueuse de l’environnement et des droits humains et réaliser enfin l’émancipation de chacun. Voilà les défis qui peuvent rassembler la majorité du peuple face aux solutions archaïques, autoritaires et périmées du capitalisme financier.

Les résultats des élections départementales nous offrent des enseignements majeurs pour l’avenir. Si le score du Front de Gauche (autour de 9% dans les cantons dans lesquels il était présent) et son élargissement à d’autres formations politiques de manière autonome de la politique gouvernementale sont des éléments positifs, force est de constater que cet outil n’apparait plus aujourd’hui comme un objet en dynamique et en capacité d’incarner une alternative majoritaire. Bien sûr, son existence a permis de remobiliser un électorat dispersé et de réaliser un score historique aux dernières élections présidentielles. Les liens et les dynamiques de dépassement qui ont vu le jour dans plusieurs départements, les collectifs militants qui se sont tissés dans ses campagnes successives doivent être maintenus et confortés. Mais l’incapacité du Front de Gauche à dépasser en général le stade du cartel politique et les brouillages stratégiques des dernières élections municipales ont éteint le moteur. Il ne repartira pas. Il peut se maintenir, résister, mais il ne retrouvera pas en lui-même l’élan de ses débuts. Le triste spectacle des positions polyphoniques de deuxième tour avec ses appels au rassemblement et ses consignes de vote complètement archaïques en est l’horrible chant du cygne.

Heureusement, ces élections ont également vu le développement de démarches novatrices dans plusieurs départements. Qu’elles se nomment « Majorité Citoyenne » ou « Alternative Citoyenne », celles-ci ont permis une remobilisation politique et un enthousiasme militant en mettant au cœur la nécessité de nouvelles méthodes d’élaboration collective du programme et de conduite partagée des campagnes. Refusant l’opacité des accords de couloir entre appareils politiques, s’appuyant sur les méthodes novatrices de l’éducation populaire, agrégeant des forces politiques sans être subordonnés à leurs discussions, alliant la joie de campagnes décalées et le sérieux et la pertinence de propositions élaborées en assemblées citoyennes, elles constituent un élément stimulant pour l’avenir.

Bien sûr, l’opacité démocratique qui a entouré cette élection départementale, les conditions très tardives d’entrée en campagne et la nature même du scrutin favorisant les sortants et leurs pratiques opaques et clientélistes étaient autant de handicap. Bien sûr, ces démarches ne sont aujourd’hui qu’un croquis. Bien sûr, elles n’ont pas encore effrité le mur de l’abstention, cette insurrection froide qui, si elle est aujourd’hui une force d’inertie, recèle aussi en son sein les germes du changement.

Malgré tout, atteignant 15,89% dans le Jura, 15,22% en Aveyron, 15,58% à Toulouse, elles ont planté de très belles premières graines d’une alternative. A Grenoble, laboratoire des démarches ouvertes sur la société, le « Rassemblement citoyen » a frôlé les 30% sur la ville et est arrivé en tête dans 3 cantons sur 4. A chaque fois, elles ont permis l’implication à égalité de citoyens, militants associatifs, syndicaux ou politiques et fait naitre des collectifs humains. Elles ont démontré le haut niveau d’intelligence collective du peuple quand celui-ci est invité à s’asseoir à la table et non pas infantilisé comme un troupeau électoral. Elles ont prouvé que l’élaboration d’un projet local se confrontait à la réalité des politiques nationales, et que la revendication de la souveraineté dans son département interrogeait la nature même des institutions du pouvoir.

Partout elles continueront et grandiront car elles sont l’avenir. Elles doivent maintenant dépasser la simple logique électorale et rentrer en résonance avec les mobilisations du quotidien et les expérimentations locales d’une autre société. Elles doivent servir aujourd’hui et préparer demain. Car le temps n’est plus aux cartels froids et fermés sur eux même mais au fourmillement organisé et structuré. Parce que c’est aussi dans les anciennes formes politiques datées que s’enferment les énergies du pays. Parce que nous sommes là, par milliers, celles et ceux qui ne se résignent pas à la marche folle du vieux monde. Parce que nous avons besoin de nous retrouver, de briser les obstacles sur notre chemin et de construire ensemble notre avenir. Parce que c’est l’heure du peuple et parce que rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue.

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