PAC 2023-2027 : la réforme de la honte

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PAC 2023-2027 : la réforme de la honte

[ La PAC est réformée tous les 7 ans. Ce 25 juin marque la fin de trois ans de négociations au niveau européen, sous réserve du vote final du Parlement européen et du Conseil de l’UE. En raison du retard pris par la réforme, la nouvelle PAC concernera seulement 5 ans : la période 2023-27. Avec 270 milliards d’euros de budget sur cette période, la PAC est le levier majeur de la bifurcation agro-écologique. ]

Crédits dessin : Allan Barte

Ce vendredi 25 juin, un accord final a été trouvé au niveau européen entre les négociateurs du Parlement européen et du Conseil de l’UE sur la Politique agricole commune 2023-27. C’est la réforme de la honte. Elle ne permettra ni d’enrayer la disparition des paysans, ni l’extinction de la biodiversité. Elle met gravement en danger l’atteinte de nos objectifs climatiques.

La responsabilité du gouvernement français est très lourde dans cet échec. Il a poussé jusqu’au bout pour affaiblir les exigences environnementales de base dans le cadre de la conditionnalité1. Il est urgent d’arracher la PAC des mains des lobbys de l’agro-industrie. L’élection présidentielle en sera l’occasion.

L’accord trouvé aujourd’hui marque la conclusion de 3 années de négociations. 3 ans pour un désastre qui se chiffre à 270 milliards d’euros et qui nous engage jusqu’en 2027, alors que la décennie qui vient est décisive en termes de renouvellement des générations, de lutte contre le changement climatique et contre l’extinction de la biodiversité. Nous n’avons pas de temps à perdre. Dans dix ans, il sera trop tard pour des milliers d’agriculteurs et de fermes qui disparaissent chaque jour, pour la biodiversité, ou pour atteindre nos objectifs climatiques. Et notre souveraineté alimentaire est en jeu.

Cette réforme est une trahison pour l’agriculture écologique et paysanne dont nous avons besoin et pour les attentes clairement exprimées des citoyens. Les négociateurs ont été incapables de prendre le tournant agro-écologique dont nous avons besoin. Ils ont été également incapables de relever le défi d’une PAC plus juste. Incapables enfin de répondre aux attentes en matière de bien-être animal. Le résultat est également un accord d’une abominable complexité, loin de la simplification promise.

L’un des enjeux majeurs des ces dernières semaines de négociations concernait l’architecture verte, c’est-à-dire la dimension environnementale de la PAC. C’est un renoncement écologique sur toute la ligne : conditionnalité environnementale des aides faible, éco-régimes insuffisamment robustes, exigences environnementales du second pilier en dessous du status quo réel, alignement avec le Pacte Vert remis aux calendes grecques alors que nous faisons face dès aujourd’hui à l’urgence climatique et environnementale.

Avec 10% de paiement redistributif (incluant des dérogations…) l’accord trouvé sur la redistribution des aides vers les petites et moyennes exploitations est très faible et se traduira par le status quo en France. Pas de plafonnement obligatoire des aides non plus.

Un mois après le plus grand procès du travail détaché dans l’agriculture en France, les négociateurs s’accordent sur une conditionnalité sociale au rabais. La conditionnalité sociale, c’est-à-dire le fait de lier le versement des subventions à l’obligation de respecter la législation du travail, constitue pourtant une victoire de principe importante de cette réforme : mais son champs d’application demeure très limité (n’incluant ni la directive sur la libre circulation des travailleurs, ni celle sur le travail détaché), son système de sanction reste trop faible et elle ne sera mise en œuvre qu’après 2025.

Pour l’amélioration du bien-être animal, il y a quasiment 0 garantie. Sur la sortie de l’élevage intensif : à peu près 0 perspective. La déclinaison française de la PAC, le « plan stratégique national relevant de la PAC », qui ne prévoit rien pour cela, en témoigne.

La régulation du marché, qui garantisse des prix rémunérateurs pour les agriculteurs, reste la trop grande absente du tableau, malgré des efforts importants pour lui redonner davantage de place. Les producteurs sous indication géographique protégée auront ainsi par exemple la possibilité de maîtriser collectivement leurs volumes de production. Le système d’autorisation de plantations de vignes, qui permet aussi de réguler les volumes, a été prolongé jusqu’en 2045. Des outils supplémentaires ont été mis en place pour faciliter la régulation des crises agricoles. Et des perspectives semblent lentement s’ouvrir pour l’interdiction des importations de produits agricoles produits avec des pesticides interdits dans l’UE en raison de leur impact sur la biodiversité et l’environnement2. Mais il aurait été nécessaire d’aller plus loin pour protéger les revenus des agriculteurs confrontés à des prix insuffisants et volatiles, alignés sur les cours mondiaux. Nous saluons cependant le maintien du budget du POSEI pour les régions ultra-périphériques et de certaines dérogations importantes pour La Réunion dans l’Organisation commune des marchés.

Pour l’heure, la principale préoccupation des négociateurs est de parfaire leur greenwashing, de nous vendre « une PAC plus verte et plus juste, au service de la sécurité alimentaire du continent ». Ils cherchent à faire passer des sauts de puce incohérents pour la transformation de fond dont nous avons besoin.

On a l’impression d’être dans le film « Un jour sans fin », de revivre un épisode déjà connu : c’étaient déjà les mêmes mots employés en 2014 pour vendre la dernière réforme. Et déjà les mêmes critiques, les mêmes avertissements qui se sont confirmés année après année.

Ce résultat n’est pas une surprise pour nous. Les négociations finales entre le Parlement européen et le Conseil reposaient sur des positions déjà gravement insuffisantes. A l’automne dernier, nous avions dénoncé la faillite du Parlement européen à l’occasion de son vote sur la Politique agricole commune en session plénière. Depuis, les alertes des scientifiques et des ONGs se sont encore multipliées, s’ajoutant à celles qui s’accumulent depuis des années.

Il faut dire que le greenwashing part de très loin. Cette semaine encore, la Cour des comptes européenne, le soulignait : la PAC actuelle (2014-2020), ce sont 50% des dépenses labellisées « action climatique » de l’UE… pour 0 réduction d’émissions en 10 ans. 100 milliards : 100 % greenwashing !

Cette réforme a aussi souligné d’immenses failles démocratiques. Les négociations qui se déroulent à huis clos, à l’abri des regards. La négociatrice en chef du Conseil de l’UE qui rencontre le principal lobby de l’agroindustrie 4 fois au cours du dernier mois de négociations, lors de chaque étape clef, pour entendre en boucle une plaidoirie caricaturale en faveur « d’un maximum d’aides à l’hectare, et un minimum de budget pour l’agroécologie». Pendant ce temps, ONGs environnementales et petits agriculteurs, qui alertent sur la catastrophe, sont laissés à la porte.

La lutte continue, aux côtés des mobilisations à venir ! Il reste de nombreux combats à mener, de nombreux leviers à activer, au niveau national et européen ! Mais cette Politique agricole commune est une grave occasion manquée dont les conséquences vont nous poursuivre. Elle pointe plus que jamais les incohérences entre le « Green Deal » affiché et la réalité.

Notes de bas de page :

1 Les subventions agricoles sont assorties d’exigences environnementales de base – ce qu’on appelle « la conditionnalité » environnementale. Mais celles-ci sont trop faibles pour assurer la bifurcation agro-écologique dont nous avons besoin. Le gouvernement français, avec d’autres, a notamment poussé pour affaiblir deux « conditionnalités » essentielles pour réduire les fertilisants et pesticides chimiques et restaurer la biodiversité : celle relative à la rotation des cultures (BCAE 8) – qui ne sera donc pas obligatoire – et celle relative aux infrastructures agro-écologiques (BCAE 9) – pour lesquelles les exigences ont été réduites -.

2 Il existe actuellement un système de « tolérances » à l’importation qui autorise dans une certaine mesure l’importation de produits agricoles produits avec des pesticides interdits dans l’UE en raison de leur impact sur la biodiversité ou l’environnement. Le Parlement européen demandait la fin de ces tolérances – comme c’est déjà le cas aujourd’hui pour les pesticides interdits dans l’UE en raison de leur impact sur la santé humaine. Le Conseil de l’UE a refusé cette proposition mais un accord a été trouvé sur la réalisation d’une étude pour en évaluer la faisabilité, notamment au regard des règles du commerce international, et la Commission s’engage à avancer dans cette direction.